samedi 5 juillet 2014

Enesco joue les Sonates et Partitas pour violon seul de Bach

A la fin de la décennie 1940, alors qu'il approche de ses 70 ans, Georges Enesco enregistre pour un label américain les Sonates et Partitas pour violon seul BWV 1001-1006 de Jean-Sébastien Bach. Le musicien roumain n'est pas seulement âgé. Il souffre d’arthrite et sa silhouette est devenue difforme. Jouer du violon devient pour lui un supplice. Sa technique s'en ressent. Il n'est plus l'étincelant virtuose admiré au tournant du siècle.


Un album 2 CD Forgotten Records Ref. fr 836/7


Pourtant Enesco offre ici un témoignage inestimable. Le vieil homme met tout son art, sa science d’interprète et de musicien, sa longue expérience ininterrompue depuis plus d'un demi-siècle déjà, au service de ces partitions exigeantes et d'une ineffable pureté. Le moindre de ses efforts est tendu vers le but d'honorer cette musique qu'il admirait tant. A-t-on jamais entendu un Bach si humain, si profond ?

Cette parution a reçu un accueil mitigé en son temps. On voulait alors un Bach plus métronomique, bien ficelé dans les barres de mesure, et servi avec la froide virtuosité d'un exercice de concours. A ce jeu, d'autres grands noms de l'époque, plus jeunes et plus brillants, ont su s'exercer - certains continuent de nos jours.

Mais Enesco était libre de toute contrainte. Compositeur et interprète d'exception, doué d'une immense culture musicale, il savait mieux que quiconque ce qu'honorer la musique veut dire. Aussi s'applique-t-il à souligner la ferveur, l'humanité et intelligence de ces partitions - en dépit de l'âge, de la douleur physique et de l'exil.

Enesco, non plus virtuose mais artiste hors pair et musicien avant tout, livre ici l'une des plus bouleversantes déclarations qu'un interprète ait jamais donné.



L'édition originale était semble-t-il assez précaire, ce qui a pu nuire à sa diffusion. La récente parution de Forgotten Records parvient à restituer un enregistrement propre, parfaitement audible malgré son âge, et d'un très grand naturel, sans aucun post-traitement artificiel.

Alain Deguernel a eu la formidable idée d'exploiter différentes parutions en microsillons pour les réunir et nous en donner le meilleur : Continental (l'éditeur américain original) et Olympic Records, le label russe Melodiya, Remington et même Electrecord, la firme d'état roumaine.

Deux CD en tous points exceptionnels.

Alain Chotil-Fani, juillet 2014

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